Exposition

Autour de l'herbier de Jacques Juge de Saint Martin, un homme des lumières (1743-1824)

Extraits complémentaires de textes d'archives en lien avec l'exposition au pôle patrimoine de la Bfm, du 31/10/2020 au 30/01/2021.

LE SEIGNEUR DANS SES TERRES

Consulter en version pdf

Atlas némoral (1800-1842)

(Némoral. Origine latine "nemus" qui signifie bosquet d'arbres).

Rédigé par Jacques Joseph Juge de Saint Martin à partir de 1800, l’atlas némoral sera poursuivi jusqu’en 1842 par son fils Jean Aymé. Le document témoigne de l’importance et de la valorisation de ce patrimoine. La gestion du domaine est un investissement sur le long terme : Semina fortunae geminat cum tempore virtus (une heureuse semence germe grâce à la vertu du temps).

Père et fils (Jacques Joseph puis Jean Aymé) tiennent un historique de l’état des bois et des travaux effectués : plantations, semis, coupes, élagages, clôtures, nettoyages, arrachages, abattages, ventes, créations d’allées, défrichages, aménagements de fossés. L’empreinte sur le territoire et le dynamisme des activités sont importants (4 000 fagots faits au bois de Crochet, 3 000 arbres plantés à Puytignon.. L’ensemble est complété par les plans respectifs de chaque parcelle avec la comptabilité et les charges afférentes. Les espèces de bois sont diversifiées : chêne, châtaigner, hêtre, cerisier, bouleau, peuplier d’Italie, charmes, pins, cyprès, épicéa, mélèze aux côtés des autres cultures (prés, pacages, terres labourables) et des bâtiments. « je me suis attaché à faire des plantations remarquables par leur singularité ; elles décorent mon héritage et me le rendent plus cher : d’ailleurs elles me rappellent les principaux événements de ma vie. Par exemple, ce bosquet a été planté l’année où mon fils est né afin qu’en croissant ensemble, il puisse y trouver, à tout âge, des ombres fraternelles » (extrait de Description pittoresque d’une métairie p.14 »).

LA CULTURE DES ARBRES ET L’OBSERVATION DU CLIMAT

Consulter en version pdf

Extrait du Traité du Chêne

« (le chêne est) un corps ligneux organisé … … composé de fibres, trachées, tissu cellulaire, vaisseaux et d’une enveloppe qu’on appelle Ecorce, elle-même composée de couches, vaisseaux, tissu cellulaire, livret, épiderme ». La moelle est « l’axe du corps complété par le cœur, l’aubier, la sève ….  Les branches dans leur relation aux racines ont un rapport intime : elles se ramifient et se subdivisent à peu près uniformément… les feuilles …ne sont pas un simple ornement, elles sont les poumons des plantes, reçoivent l’air ainsi que les sels vivifiants qu’il charrie… Les fleurs renferment les parties pour la multiplication de l’espèce. Ce sont des viscères destinées pour les semences ; les Etamines dont le sommet est une bourse pleine de poussière. Certaines espèces comme le Chêne portent sur un même individu des fleurs mâles et des fleurs femelles, séparées les unes des autres ».

Extrait de la notice sur la culture des arbres et des arbustes

Le châtaignier, arbre du Limousin :

« ce grand arbre est si commun dans le haut Limousin qu’on pourrait en quelque façon l’appeler l’arbre du pays. Il a depuis longtemps ses partisans et ses détracteurs. Malgré tout ce que peuvent dire ces derniers, on le multiplie plus que jamais, il vient même d’être admis sur nos routes publiques comme un arbre d’ornement (…).. Mais ne pourrait-on pas tirer meilleur parti qu’on ne fait d’un arbre réellement précieux par son fruit, par les feuilles et par son bois !... La meilleure manière d’apprécier son mérite est de s’attacher plutôt aux faits qu’aux raisonnements ».

La châtaigne, élément essentiel de l’alimentation du cultivateur 

« un homme de travail mange à dix heures du matin dans les petits jours environ trois cent châtaignes blanchies qui pèsent deux livres et demie et ce qui est bien étonnant c’est qu’il le mange sans boire. Il ne lui faut pas d’autre aliment jusqu’à 6 ou 7 heures du soir. Cette quantité de châtaignes remplit deux fois le vase dans lequel il fait ordinairement sa soupe, mais il faut observer qu’étant sphériques il reste du vide entre elles et que si l’on vient à les comprimer elles ne tiennent guère plus de place et ne pèsent guère plus que le pain et le bouillon de sa soupe. Il résulte de ce détail que de chaque pied de châtaignier, l’un compensant l’autre, peut fournir à la moitié de la nourriture d’une famille entière pendant deux jours, ou ce qui revient au même qu’un pied de châtaignier de bon produit nourrit journellement une famille à laquelle il faudrait au moins vingt livres de pain bis qui valent, année commune vingt sols … Il demeurera pour constant que la châtaigne est de première nécessité pour le peuple. C’est une récolte qui n’a d’autre inconvénient que d’être casuelle comme toute autre parce qu’elle dépend de deux saisons, du temps de la floraison en juillet et du temps de la formation de l’amande ou comme on dit ici du germe à la fin d’août. Ainsi le châtaigner est pour les pays où il croit spontanément ce qu’est l’arbre à pain pour les isles de la mer du Sud ».(extrait de la Notice).

Extraits des Observations météorologiques

 « Il serait sans doute utile aux agriculteurs de se précautionner contre les rigueurs du froid, il serait donc important de connaître d’avance si l’hiver sera long… On a cru qu’il y avait sur cela des indices..»

Pendant l’hiver fin 1788-début 1789, Jacques Joseph Juge de Saint Martin constate 57 jours de froid et mentionne les indices qu’il a relevés : passage des oiseaux migrateurs, identification des vents, mesure régulière du froid, effets de la gelée sur les fruits récoltés et stockés, sur le développement des feuilles et des bois, analyse de  l’impact sur les cultures et récoltes à venir, importance du gel sur la Vienne et les ruisseaux, pertes et conséquences du dégel. Il dresse un tableau des températures, des phénomènes de froid, sécheresse, pluie, types de gelée ; résultats des récoltes, effets du climat sur les arbres et le prix des denrées.

Le printemps 1791 s’avère rude :

« les pluies continuelles survenues en mai juin ont fait couler la fleur du seigle… Malgré l’énormité du déficit, on espérait encore que le sarrasin, la châtaigne et le blé d’Espagne fourniraient un supplément. Une sécheresse de près de 3 mois consécutifs a presque tout dévoré...De façon que nous sommes réduits à nous approvisionner ailleurs et dans un moment où les grains sont devenus excessivement chers.(…) Si nous avions été instruits par une longue suite d’observations, nous n’aurions pas formulé de vaines espérances, nous aurions songé plus tôt et plus utilement à nous procurer des subsistances. Les observations météorologiques que l’ont fait actuellement pourront donc pour l’avenir être d’une grande utilité comme nous le disions en 1789 en publiant les premières qui aient été faites dans le pays ».

Méthode d’engraissage, Mémoire sur l’engrais des bœufs (extrait)

les nourrisseurs laissent les bœufs, nuit et jour dans les pâturages fermés de haies (…) ce régime dure depuis le mois d’août jusqu’au commencement de novembre : alors on les met à l’étable, on leur donne à manger dans un bac de pierre ou de bois. Le bouvier leur donne du foin sec (…) puis on les accoutume à manger le foin trempé dans l’eau (…) des raves (…) dès lors ils n’ont plus besoin de boire. Le bouvier a la plus grande attention  de n’en pas donner beaucoup à la fois. (…) Lorsqu’on voit qu’ils prennent bien la graisse et qu’on peut les pousser à un point extraordinaire, on leur fait une boisson avec de la farine de seigle délayée dans de l’eau tiède, quelquefois on y ajoute de l’avoine bouillie. Depuis qu’on s’est avisé de cultiver la pomme de terre, on leur fait une espèce de pâte en la délayant dans l’eau qui a servi à les faire cuire ou encore mieux dans l’eau qui a servi à faire cuire les châtaignes sèches. Cette dernière est imprégnée de sels que le bœuf recherche avec avidité. (…) Ces effets différents donnent assez à comprendre qu’il faudrait traiter les bœufs avec intelligence et chacun suivant la disposition où il se trouve à chaque époque de l’engrais. Mais malheureusement on ne s’occupe pas assez à réfléchir … et l’on se borne dans chaque canton à la méthode usitée ».

UN HOMME DES LUMIERES

Consulter en version pdf

Changements survenus dans les mœurs des habitants de Limoges depuis une cinquantaine d’années (extrait)

 « Les habitudes et les mœurs changent (…) il faut de temps en temps les comparer si l’on veut en apercevoir la différence (…) Un seul observateur ne peut pas saisir toutes les variations qu’éprouvent autour de lui ses concitoyens. Il est obligé de s’en rapporter aux apparences extérieures et de les combiner avec les événements publics  dont l’influence agit puissamment sur les opinions particulières. (…) Il compose un résultat général qui approche beaucoup de la vérité s’il n’est la vérité même. »

Description pittoresque d’une métairie dans le département de la Haute Vienne

« Je vous salue, paisibles Cultivateurs qui m’avez vu naître ; et vous bonnes Ménagères qui m’avez donné si souvent du lait et des fruits.

Je viens aujourd’hui avec un de mes bons amis qui désire connaître les productions de ce pays ; présentez-le à votre père blanchi par l’âge, montrez-lui vos beaux enfants, vos troupeaux , vos oiseaux domestiques. Montrez-lui ce grenier plein du produit de vos travaux, vous le conduirez ensuite dans les champs où vous allez déposer l’espérance d’une nouvelle récolte. Et toi, jeune Thèrèse dont les simples vêtements sont arrangés avec tant d’élégance, va dans l’humble maison que j’ai bâtie sur la ruine de celle de mes pères ; disposez des chaises auprès du feu, afin que nous prenions un peu de repos, qu’une flamme pétillante s’élève aussi haut que nous ; ne crains pas l’incendie, les murs sont solides ; ne crains pas de manquer de combustibles, la nature travaille continuellement, dans nos climats, à l’entretien de nos larges foyers ».

Théorie de la pensée

Les organes des sens extérieurs. A ton âge tu dois comprendre que tu es un corps animé, très peu instruit parce que tu n’as pas reçu les leçons de l’expérience, mais capable de parvenir avec le temps, à des connaissances sublimes. Ne t’ai-je pas surpris quelquefois dans une étrange admiration à la vue d’une machine ingénieuse qu’on te montrait pour la première fois ? Eh bien ! Cette disposition de ton âme annonce un vif désir d’apprendre. Dans quelques jours je t’aurai donné assez de lumières en histoire naturelle pour que tu puisses t’expliquer toi-même, mais quand tu liras le tableau des progrès de l’esprit humain par Condorcet, tu verras combien la borne de nos connaissances est reculée. Tu comprends aussi que ton corps est doué de sens qui par le secours mutuel qu’ils se prêtent, concourent merveilleusement au développement de ton intelligence et à la conservation de ton être. C’est par l’organe de ces sens que ton âme reçoit les différentes impressions des objets qui t’entourent ; ils établissent  la communication avec tous les objets auxquels ils peuvent atteindre. Les couleurs, les saveurs, les sons, les odeurs t’affectent tour à tour ; et ta main, qui est le principal organe du tact, en se portant sur les objets mêmes a corrigé les erreurs où t’aurait nécessairement conduit l’imperfection de tes autres organes.

Proposition d’un congrès de paix générale

Les Nations n’ont pas encore fait entr’elles le pacte d’union générale, qui seul peut constituer leur sûreté. Dès qu’un peuple ne dépend que de lui-même ; qu’il n’agit que par l’impulsion de ses propres intérêts : point de garantie, point de sûreté pour ses voisins, point d’autre droit que la force, et dès lors point de paix. Ce peuple est dans un état de guerre relativement à tous les autres. Et jusqu’à ce qu’un pacte d’union soit fait, tous les Empires continueront à être dans le désordre, comme le seraient les membres d’une société qui ne reconnaîtraient aucun frein. Au lieu qu’appliquant aux différents Etats de l’univers, les principes qui ont déjà porté quelques Peuples à se confédérer, il s’en suivrait qu’ils seraient tous soumis indistinctement à la loi d’association, qu’ils se porteraient une commune garantie , qu’aucun d’eux ne pourrait prendre les armes, qu’enfin ils seraient tous civilisés. Alors point de guerres.

La vie champêtre

Heureux qui loin du faste aux plantes qu’il cultive, consacre de ses jours la course fugitive ! qui libre de chagrins, sans procès et sans bruit, vit dans l’obscurité d’un champêtre réduit : et borné dans ses vœux, content du nécessaire, interdit à son cœur tout désir téméraire ! Sa seule ambition est de donner des Lois aux fleurs de ses jardins,  aux arbres de ses bois : nul regret ne se mêle à sa gaité durable, et jamais le dégoût ne s’assied à sa table.

Ce contenu vous a-t-il été utile ?
Button envoyer